FAIRE VIVRE LES STATUTS EN COOPÉRATIVE

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Raphaëlle Chaygneaud-Dupuy, responsable de la vie de la coopérative

Récit d’un cheminement ESS 

En 2013, une association se crée, que rejoint vite une équipe de bénévoles motivés par une vision commune : celle d’intensifier l’usage des bâtiments vacants en Ile-de-France. Rapide à mettre en œuvre, bien identifiée par le secteur social, élastique dans son fonctionnement, l’association était alors idéale pour tester et expérimenter une activité nouvelle et encore en définition. 

Petit à petit, le projet s’affine au fil des ouvertures de sites, et s’écrit un modèle de gestion de bâtiments grâce à des propriétaires partants pour mettre à disposition leurs espaces inutilisés au bénéfice d’activités et de personnes souvent exclues du cœur des métropoles. Des salariés rejoignent le projet et l’organisation se transforme. Il est temps d’incarner le projet dans un nouveau véhicule juridique. 

En 2017, le choix de la coopérative sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) vient consolider une vision politique de l’organisation qui comporte désormais plus de 20 salariés. Trois arguments vont catalyser cette décision : l’envie que la prise de décision reste entre les mains des opérationnels (or dans une association un directeur ne peut être Président) ; le besoin d’abriter de nouvelles activités, y compris lucratives, ce que la coopérative permet ; et enfin l’indépendance de l’association Plateau Urbain vis-à-vis des subventions. 

Plateau Urbain quitte ainsi le monde associatif pour devenir une société, sans toutefois quitter le champ de l’ESS. L’acronyme désigne l’économie sociale et solidaire, dont font partie association, fondation, mutuelle, coopératives, entreprises sociales à statut commercial (entreprises adaptées et entreprises d’insertion notamment). La loi de 2014 sur l’ESS a dessiné quatre points communs réunissant ces structures.

  • La poursuite d’une utilité sociale : la mission sociale de Plateau Urbain est de maintenir des espaces non-marchands dans une ville très financiarisée pour faire une place en ville à ceux et celles qui n’en ont plus, en créant et promouvant des lieux de rencontres ouverts et mixtes. 
  • La recherche d’un modèle économique viable : dès le début Plateau Urbain construit un système de péréquation économique pour maintenir des redevances les plus faibles possibles pour les occupants, en limitant la dépendance aux subventions publiques.
  • La gouvernance démocratique : les statuts de la coopérative construisent un partage du pouvoir décorrélé du capital détenu par les sociétaires. 
  • La lucrativité limitée ou la rentabilité mise au service de la finalité sociale : l’objectif financier de la coopérative est de viser l’équilibre. Si du profit est dégagé, il est mis à 100% en réserves, pour servir le développement du projet. 

 

Toutefois, derrière ces grands principes communs, l’intention des fondateurs de structures de l’ESS peut grandement différer. Certains fondateurs décident de créer une entreprise adaptée pour embaucher des personnes en situation de handicap, mais ne sont pas du tout animés par la lucrativité limitée. Des fondateurs d’entreprise d’insertion peuvent être portés par le projet d’une société plus inclusive, sans pour autant avoir une gouvernance partagée dans leur structure. Des créateurs de coopératives peuvent adhérer aux principes démocratiques et de partage, sans pour autant développer un produit ou un service particulièrement vertueux pour la planète ou la société. Il est intéressant d’avoir une diversité de modèles de structures, qui permettent à chacun de trouver une voie d’engagement de son travail, alignée avec ses valeurs. 

Au-delà des choix initiaux de forme juridique, ce sont les équipes salariées des structures qui poussent à approfondir le cap choisi, c’est-à-dire la mission sociétale fixée explicitement ou implicitement (à travers tous les éléments de la culture d’une structure). Ainsi en 2019, Plateau Urbain a obtenu l’agrément ESUS, Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale, agrément décerné par l’Etat dans le cadre de la loi 2014 qui ajoutent deux éléments aux principes communs de l’ESS : “rechercher à titre principal une utilité sociale, ce qui doit affecter la rentabilité de l’organisation ; et avoir une politique de rémunération encadrée.”

Statut juridique, choix politique

En 2017, Plateau Urbain devient donc une société coopérative d’intérêt collectif. La forme coopérative permet à Plateau Urbain, projet à la croisée des mondes, de s’incarner dans un statut juridique hybride, une entreprise désintéressée avec une mission sociale comme cap et la recherche d’un équilibre financier sans subvention. Le choix de la SCIC, et non de la SCOP, reflète la volonté de Plateau Urbain d’être un lieu de rencontre et d’intermédiation entre des acteurs positionnés dans des champs différents de la fabrique de la ville. Avec la SCIC, toutes ces parties prenantes peuvent être intégrées au sociétariat.  

La SCIC est comme un chapeau dont les sociétés classiques peuvent choisir de se coiffer : SARL, SAS, SA, toutes peuvent arborer un couvre-chef coopératif. En société anonyme, il faut une mise de départ de 16 000 euros, somme que la jeune structure n’est alors pas assurée de pouvoir collecter. En société par actions simplifiée, il n’est pas possible de faire appel aux titres participatifs, outil de financement privilégié des SCICs. Le choix est donc fait par défaut de devenir une SCIC SARL, qui ne nécessite pas d’apport et ouvre l’accès aux titres participatifs. Or à l’Assemblée Générale suivante est émis le souhait de faire entrer au sociétariat de la coopérative ses bénéficiaires principaux, les structures occupant les bâtiments. Or la SCIC SARL limite le nombre de sociétaires à 99, bien en-deçà du nombre d’occupants, plus de 1400 structures en mai 2023. Le développement s’accélère et le projet reste en fond. Il faut commencer par ancrer cette nouvelle gouvernance avant de l’ouvrir vers de nouvelles parties prenantes. La structuration se poursuit quand survient la crise du covid qui ralentit tout, avant que le développement ne s’emballe à nouveau dès les restrictions levées. 

Les statuts sont donc modifiés en 2022 par l’Assemblée Générale et Plateau Urbain devient une SCIC SA pouvant accueillir un nombre illimité de sociétaires. Pour les 10 ans de la création de Plateau Urbain, les occupants peuvent devenir sociétaires. 

L’idée forte de la SCIC est d’inclure les parties prenantes à la gouvernance de l’organisation. Les sociétaires apportent leur soutien financier et leurs voix à la coopérative pour renforcer l’assise du projet. Le capital social varie en fonction des apports des sociétaires. Dans le même temps, cela signifie que le projet Plateau Urbain n’appartient plus uniquement à ses initiateurs, mais bien à toutes les parties prenantes qui décident de contribuer en donnant une partie de leur temps et de leur argent au projet. Cette dépossession renverse les rapports habituels entre les initiateurs, le projet et les salariés. Cette dépossession a des conséquences notamment sur le rôle des fondateurs. Dans une coopérative, chacun apporte une somme au capital, de quelques centaines d’euros à des milliers. Mais la quantité de capital détenu n’influe pas le pouvoir de vote au moment de l’Assemblée Générale annuelle. Chacun vote en fonction de son collège d’appartenance, c’est-à-dire en fonction de la nature de la relation qui le lie à la coopérative. Ainsi les salariés de Plateau Urbain ont une pondération de vote plus importante qu’un partenaire ou qu’un investisseur. Dans une coopérative, les fondateurs sont des salariés comme les autres au moment de l’Assemblée Générale. C’est le principe de la gouvernance partagée. 

Ainsi, à Plateau Urbain, les initiateurs du projet peuvent partir à tout moment sans déstabiliser la structure. Dans une société classique, au moment du départ d’un fondateur, il faut se replonger dans le pacte d’associés, négocier le rachat des parts et leur prix. La valorisation de l’entreprise peut aussi pâtir du départ d’une figure clef de l’organisation. Dans une coopérative, les parts sociales sont remboursées à chaque sociétaire de la même façon. La mise de départ est simplement remboursée, sans plus-value, sans nouveau calcul à négocier. Tout est prévu dans les statuts qui fixent le prix unitaire d’une part sociale. Si le fondateur, Simon Laisney, décide de partir après 10 ans à construire Plateau Urbain, il récupéra les quelques centaines d’euros de parts sociales investies sans s’être enrichi en revendant son entreprise. Ce garde-fou assure à l’entreprise d’être indépendante des désirs individuels, y compris de ses fondateurs, et de se prémunir de tout accès de cupidité. A noter qu’en 10 ans d’existence, il y a eu une rotation de la représentation légale de Plateau Urbain. Pendant 5 ans, le fondateur n’était pas représentant légal de la structure.

Autre élément de cette gestion désintéressée, si une vente de la société est envisagée, la décision doit être prise collectivement en Assemblée Générale, et racheter une coopérative telle que Plateau Urbain n’est tout simplement pas intéressant au sens “capitalistique” du terme. Dans ses statuts, la coopérative a choisi de mettre 100% du bénéfice généré en réserves, quand dans les SCICS, le minimum légal de dotation est de 57,5%. Cela implique qu’il n’y a pas de dividendes versées aux sociétaires. Par ailleurs, Plateau Urbain vise l’équilibre du fait de sa mission sociale, ce qui limite le bénéfice engendré. Il n’y aurait donc pas une somme très importante à distribuer en dividendes. Les statuts sont un verrou efficace pour prévenir les dérives qui dévoieraient la mission sociale de la coopérative. 

Une entreprise n’a pas de propriétaire, contrairement au raccourci souvent emprunté. Les personnes morales ou physiques qui détiennent collectivement le capital social de l’entreprise, ne détiennent pas pour autant l’entreprise, comme un propriétaire peut détenir un bien immobilier et en faire usage comme bon lui semble. L’actionnaire, ou dans le cas de la coopérative, le sociétaire détient du capital social, contre des droits délimités sur l’entreprise : droit de vote et dividendes. Comme le dit Jean-Philippe Robé, “on ne peut prétendre qu’être propriétaire des actions d’une société revient à être propriétaire de l’entreprise”. La différence est importante car elle permet de conceptualiser la dérive des actionnaires d’entreprises classiques qui se comportent en propriétaire et prennent une place démesurée dans les choix stratégiques de l’entreprise, au détriment de ses salariés et de ses bénéficiaires. En revanche, devenir sociétaire c’est choisir de porter ensemble un projet. Le fait de « se sentir » copropriétaire de l’entreprise permet une appropriation plus forte de l’objet commun, et donc une participation au projet plus poussée.

 

 

Le statut juridique n’est donc pas figé. Même s’il n’est pas facile de changer de statut, cela reste possible. Le choix d’un statut juridique pour formaliser une entreprise collective, au sens d’une initiative portée à plusieurs, est bien un choix politique. Certes chaque statut juridique implique que les initiateurs pèsent les avantages et les inconvénients économiques de ce choix fondateur, mais c’est toute la vision de la société des créateurs que ce choix reflète. 

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